Les photographes pionniers du traitement d'image qui s'étaient efforcés de bien comprendre ce qu'ils faisaient sont troublés par l'évolution récente des logiciels et la multiplication des curseurs de toute nature. Oh ! On trouve bien des livres ou des tutoriels qui indiquent vaguement ce que font ces curseurs. Bien entendu, c'est moi qui souligne «vaguement», mais le problème est bien là : ces photographes aimeraient avoir plus de certitudes sur ce qui se passe et comment ça se raccorde aux fondamentaux que sont les réglages de niveaux ou les réglages par courbes.
On objectera que ce qui compte est ce qu'on voit à l'écran. Certes, mais il n'est pas toujours facile d'analyser comment on doit s'y prendre pour améliorer les choses quand on ne sait pas bien comment agissent les outils qu'on a sous la main. Autre objection : on a les histogrammes pour contrôler ce qu'on fait. Certes, certes... mais il est tout de même un peu désagréable de ne pas retrouver exactement la même chose dans les différents histogrammes affichés par Camera Raw ou par Photoshop ; cela n'améliore pas la confiance dans l'outil. On reviendra sur ce point à la fin de l'article.
Comment contrôler ce que fait Camera Raw ?
A partir de CS4, Photoshop permet toutefois de retrouver facilement ce que font les commandes les plus importantes de Camera Raw. Pour cela, on réalisera l'empilement de calques suivant :
Une fois qu'on a reproduit l'un des réglages de Camera Raw, on passera à un autre en réouvrant le calque copie pour appliquer cet autre réglage, puis en reprenant le réglage par courbes jusqu'à retrouver un affichage noir (ou le plus noir possible).
Nous exposons maintenant les résultats pour les principaux
réglages et quelles sont les diférences entre les versions CS-5 et
CS-6.
C'est pour ce réglage que les résultats sont les plus surprenants. On s'attendrait à ce qu'il fasse tout simplement la même chose qu'une manœuvre du curseur des blancs dans un réglage de niveaux ; en tout cas, c'est peu ou prou ce qu'écrivait Bruce Fraser dans son livre sur Camera Raw (du moins dans l'édition traduite en 2006 à propos de CS2). De même, on s'attendrait à ce que l'indication chiffrée à côté du curseur soit des EV en plus ou en moins.
La figure ci-contre montre que ça ne se passe bien pas comme ça. On voit les courbes simulant les réglages «+1» «+2» et «+3» à côté des droites théoriques correspondant à des augmentations de sensibilité de 1EV, 2EV et 3EV (la graduation supérieure indique les EV d'assombrissement par rapport au blanc pur R=V=B=255). On voit que ce qu'on fait correspond plutôt à une combinaison de déplacements du curseur des blancs et du curseur des gris dans un réglage de niveaux. Apparemment, le but recherché est d'éclaircir l'image sans trop provoquer de surexposition, pas de simuler la correction d'exposition du boitier (pour cela, on pourra utiliser la correction par courbe de l'onglet «courbes»)
La figure montre aussi le résultat pour une exposition «-2» (à côté de la droite en vert qui simule une correction d'exposition de -2 EV). Attention, cela ne montre que ce qui se passe pour une image bitmap (genre JPEG ou TIFF), cela ne montre comment CameraRaw «récupère» des fichier RAW surexposés.
On obtient cette fois les résultats attendus, à ceci près que la
signification des indications chiffrées n'est pas très
claire (mais cela n'a ici aucune importance)
Le réglage de luminosité a disparu dans CS-6. Le réglage de contraste est resté à peu près le même, à ceci près que son curseur va de -100 à +100 (avec 0 comme réglage par défaut), alors qu'il allait de -50 à +100 dans CS5 (avec 25 comme réglage par défaut) ; mais comme ces chiffres ne signifient pas grand chose... L'augmentation maximale du contraste est la même dans les deux versions (curseur à +100 dans les deux cas).
Ce paragraphe est spécifique de CS-5. Il existe bien un curseur
«Noirs» dans CS-6, mais qui fonctionne différement et que
nous allons voir dans la section suivante.
On voit ici les courbes correspondant à trois réglages
(20, 40, 60) de ce curseur. On s'attendrait à retrouver les
droites équivalentes à la manœuvre du curseur des noirs dans un réglage de
niveaux.
On voit qu'on n'en est pas trop loin, à ceci près que leur point
de départ n'a pas grand chose à voir avec ce qu'on aurait
dans un réglage par niveaux avec les mêmes
indications chiffrées rvb=20, 40 et 60 (positions indiquées
en rouge dans la figure)
Tandis que le curseur des noirs ne prenait que des valeurs positives dans CS-5, celui de CS-6 varie de -100 à +100. Pour les valeurs négatives, il se comporte à peu près comme le curseur des noirs dans un réglage de niveau, à ceci près que l'indication chiffrée n'a aucune signification précise en termes de composantes chromatiques RVB.
Pour les valeurs positives, on éclaircit légèrement les tons sombres et moyens sans créer de voile (c.à.d. le noir reste noir) et sans modifier les tons les plus clairs.
Le curseur des blancs est une nouveauté de CS-6. Il varie de -100
à +100. Pour des valeurs positives, il a un peu le même effet
que le curseur des blancs dans un réglage de niveaux, à ceci
près que le contraste n'est pas augmenté uniformément
:
— il n'est pas modifié dans les tons les plus
sombres,
— qu'il augmente dans les tons moyens,
— et qu'il rediminue dans les tons les plus clairs.
Pour les valeurs négatives, le contraste est sensiblement accru dans les tons les plus clairs (en d'autres termes, les gris les plus clairs «descendent» plus vite), sans que le blanc maximum soit lui-même rabaissé. Le contraste n'est pas modifié dans les tons sombres, et, forcément, il est diminué dans les tons moyens. L'effet se rapproche d'un réglage «tons clairs», mais comme ce réglage ne contient pas d'accentuation du contraste local, il peut s'accompagner d'une perte de modelé.
Pour étudier l'action de ces réglages, nous
les avons appliqués à une simple charte de 51 tons de gris
espacés de 2 en 2 en luminosité (au sens LAB) de L=0 à
L=100 :
Au départ, son histogramme est constitué de 51 raies
identiques.
Ces réglages sont censés agir comme les réglages tons clairs ou tons foncés de Photoshop : le premier augmente le contraste dans les tons clairs (qui du coup deviennent plus foncés) sans modifier les tons sombres tandis que le second augmente le contraste dans les tons sombres (qui deviennent plus lumineux) sans modifier les tons clairs. Pour éviter qu'il y ait une perte de modelé dans les densités intermédiaires entre ce qui est modifié et ce qui ne l'est pas, les deux réglages contiennent un algorithme de renforcement du contraste local qui va faire apparaître des gradients de densité dans les différentes plages et provoquer un élargissement des raies de l'histogramme.
L'évolution des histogrammes montre clairement quelles sont les valeurs modifiées par ces réglages dans CS-5 ou CS-6
Dans CS-5, ces réglages affectaient une trop grande gamme de densités : 65% pour la récupération et 100% pour la lumière d'appoint — beaucoup trop. Ce défaut a été corrigé dans CS-6 : les deux nouveaux réglages ne modifient qu'une moitié de la gamme de densités. Par contre, pour le réglage tons clairs à -100, on note que la raie la plus à droite s'est déplacée vers la gauche, c.à.d. que le blanc pur a été assombri.
Ces réglages dans CS-6 agissent aussi «à l'envers», c.à.d. qu'on peut éclaircir les tons clairs ou obscurcir les tons foncés, avec à nouveau un petit élargissement des raies. Il n'y a pas d'équivalent direct dans les menus de Photoshop et je ne sais pas quelle est l'application visée — des traitements lowkey ou highkey, peut-être ?
Pour faire une comparaison directe avec ce que fait le réglage tons foncés/tons clairs de Photoshop, il faut modifier le dispositif d'étude décrit en introduction : on fera une pixellisation du calque de référence (ou plutôt d'une copie de ce calque) et on fera agir le menu tons foncés/tons clairs sur ce calque. On ne peut pas arriver à obscurcir totalement l'affichage, mais on cherchera l'assombrissement globalement le plus grand possible.
La figure suivante met côte à côte les
résultats de Camera Raw et ceux de Photoshop quand on pousse au maximum
dans Camera Raw ; on y lit le
paramétrage des réglages correspondants dans Photoshop :
Deux conclusions :
Ce que fait un réglage de brillance est un peu mystérieux. Ce serait un réglage de saturation édulcoré, bloqué sur les couleurs les plus saturées et très freiné sur les tons rouges (de cette manière, on peut rehausser les couleurs d'une scène avec des personnages sans que ceux-ci prennent un teint trop rubicond). Photoshop a aussi un calque de réglage de la brillance depuis la version CS5 ; la technique décrite plus haut permet de comparer ce nouveau réglage au réglage de Camera Raw. Les résultats sont voisins, mais pas identiques.
La figure ci-contre permet de comparer l'image de départ à diverses versions avec une brillance accrue. On voit en haut l'original et sa version traitée dans Camera Raw. En bas à gauche, on a le résultat le plus proche possible dans Photoshop avec un calque de réglage de brillance. On note qu'on n'a pas les mêmes indications chiffrées — et qu'on est quasiment au maximum dans Photoshop mais pas dans ACR, autrement dit que c'est ACR qui permet cette fois l'effet le plus puissant.
La dernière version a été obtenue dans Photoshop avec un calque de réglage de saturation à travers le masque des chromas et en annulant la saturation des rouges.
Ce réglage crée un effet d'accentuation du contraste local, très voisin de ce que l'on obtiendrait dans Photoshop avec un filtre d'accentuation avec un peit gain (de 30 à 40 %) et un très grand rayon (de 40 à 60 px selon les images), mis ensuite en mode luminosité pour éviter toute montée de la saturation des couleurs. Les résultats ne sont pas tout à fait les mêmes, mais discuter des différences relève quelque peu du byzantinisme.
La figure à droite montre un exemple des deux types d'histogrammes affichés par Camera Raw quand on arrive sur l'onglet «courbes». L'histogramme du haut est celui de l'onglet général, celui sur lequel se reflètent toutes les interventions patiquées dans Camera Raw. L'histogramme du bas est celui qui va nous servir pour façonner la courbe de correction. En principe, tant qu'on n'a pas modifié la courbe, on devrait retrouver l'histogramme général du haut, à ceci près qu'on ne voit pas en bas ce qui se passe sur les trois couches mais sur une grandeur composite, vraisemblablement la luminosité.
Dans notre exemple, on peut déjà tiquer sur le fait que l'histogramme du haut va jusqu'au bout à droite et pas celui du bas, mais on peut ergoter sur le fait qu'il ne s'agit pas du même type d'histogramme. La discussion s'arrêtait là sous CS-5, mais CS-6 permet de faire une comparaison beaucoup plus précise en remplaçant l'histogramme composite du bas par des histogrammes RVB. Passez la souris sur la figure pour voir le résultat. L'histogramme du milieu est une synthèse entre les 3 nouveaux histogrammes, de manière à avoir le même genre d'affichage que pour l'histogramme général ; enfin, l'histogramme du bas est celui qu'on obtient dans Photoshop en sortie de Camera Raw.
Les différences entre ces histogrammes ne sont pas gravissimes mais elles sont tout de même troublantes. Dans ce cas particulier, il y a même un début de surexposition dans le rouge sous Photoshop qui n'est pas visible dans l'histogramme général de Camera Raw. La sérénité d'esprit de l'utilisateur gagnerait à un peu plus de cohérence.