Histoires vécues.
— Ma fille fait son site web et me demande mon avis. Je tombe sur des
contrastes de couleur stridents entre des textes et certains fonds de page ; elle
avait préparé son site sur son ordinateur portable et elle n'avait rien
vu de ces contrastes.
— Je sors d'un stage photo où chacun avait un portable. Pour
les besoins du stage, nous faisions tirer nos images chez une enseigne
locale «Vos photos en moins d'une heure»... et nous avions du mal
à bien reconnaître nos petits. Nous avons tous cassé du
bois sur l'incompétence du commerçant, mais, réflexion
faite, nos portables nous montraient-ils fidèlement tout de nos images ?
Le prix des portables a considérablement chuté dans ces dernières années en raison d'avancées sur la technologie et la productivité, mais aussi parce qu'on a fait des économies sur la qualité de certains composants, notamment des écrans. Bien évidemment, les fabricants sont restés très discrets sur ce point. Finalement, parce que c'est commode et de moins en moins cher, beaucoup de personnes utilisent un portable pour travailler sur leurs images sans savoir à quel point leur écran peut être médiocre.
N.B. : on ne parlera pas ici de la difficulté à bien rester dans l'axe de l'écran, mais simplement du rendu nominal des couleurs, quand on est bien dans cet axe.
Cet article voudrait les en convaincre mais il pourrait bien ne pas servir à grand chose. En effet, il devrait suffire de regarder la figure dessous pour voir ce qui peut arriver à une image quand elle passe d'un bon écran de bureau à différents portables... mais si vous lisez cette page sur un portable, j'ai bien peur que vous ne voyiez aucune différence entre les différentes versions de l'image. Dur dur alors de vous persuader que vous perdez quelque chose !
Ce qui se passe est que les écrans de portable sont incapables d'afficher correctement des couleurs très saturées qui sont à la portée des bons écrans de table. Ces couleurs sont remplacées par d'autres, moins saturées et pas toujours avec la même luminosité. Ce dernier effet au moins peut être perçu par tout le monde avec l'illustration suivante, qui est tout simplement une version en gris naturels de la figure précédente.
L'effet le plus évident est sur le bandeau «CONTRASTES». Il a été conçu à partir d'un lettrage gris sombre sur un fond bleu très saturé, une couleur dont la valeur (autrement dit, le rendu en gris naturels) est très sombre. Le résultat est que c'est assez difficile à lire sur tout bon écran respectueux des couleurs alors que ça ne pose aucun problème sur les portables.
Les dégradés en bas à droite montrent qu'on a des problèmes avec toutes les couleurs très saturées, pas seulement le bleu. C'est entendu, mais est-ce vraiment gênant ? La réponse est «oui» chaque fois que vous préparerez une image avec des aplats de couleurs vives, par exemple dans la préparation de votre site internet ; attendez-vous à ce qu'on vous dise que vos couleurs sont insupportables.
D'accord, direz-vous, mais les photos de tous les jours ne sont pas si
riches que ça en couleurs très saturées. Dans les
illustrations précédentes, les deux vignettes sur la gauche
et leurs couleurs saturées à 100% sont exceptionnelles. La
composition en haut à droite est bien plus représentative de
la photo «de tous les jours» et elle ne souffre pas tant que
ça sur le pire des écrans précédents. On peut
aussi voir ce qui se passe avec les images de test qu'on propose sur
certains sites pour juger de la qualité des imprimantes ; en principe,
ces images ont été conçues pour recouvrir un large éventail des couleurs
utiles dans la pratique. L'illustration suivante montre ce qui se passe
avec les images de Photo-i-test (à gauche) et de Photo-Disk (à droite) :
Si vous travaillez avec un portable, vous devriez maintenant vous inquiéter de la qualité de votre écran. Dans les lignes précédentes, nous avons relié ça au nombre des couleurs qu'il pouvait afficher, mais ce n'est pas un paramètre accessible sans logiciel spécialisé. Toutefois, si vous avez étalonné votre écran (avec une sonde), vous pouvez faire un essai pas trop compliqué :
Les couleurs grises à l'écran correspondent maintenant aux couleurs de l'image qui ne peuvent pas être reproduites correctement par votre écran. En comparant votre affichage aux différentes versions de l'image ci-dessous, vous pourrez situer votre écran dans la hiérarchie «correct»/moyen/«médiocre». Il se peut que votre écran vous en montre plus sur une partie de l'image ou moins ailleurs, ce sera à vous de faire la balance, ce test n'a rien de très scientifique. Et ne vous méprenez pas, «affichage incorrect» ne signifie pas «affichage catastrophique» (sinon, même les écrans «corrects» seraient à jeter ! Cette expérience dit où il y a des erreurs d'affichage, mais elle ne dit pas si ces erreurs sont petites ou grandes)
(cliquez pour prendre l'image correspondante comme image de référence)
On aura noté qu'il y a beaucoup de gris dans l'affichage par «le bon écran de bureau» et cela mérite un peu d'explications. A la base, comme le profil de cet écran ne recouvre pas complètement le profil sRGB de l'image il est normal qu'il y ait des couleurs non affichables — du gris. Toutefois, le décalage entre les deux profils n'est pas aussi important que ce que l'image suggère. Ce qui se passe est que cette image est une partie d'une image de Bruce Lindbloom qui affiche les 16 millions de triplets RVB possibles, mais comme il n'y a en gros que 900000 couleurs distinctes dans sRGB, beaucoup de ces triplets correspondent à la même couleur. Les zones grises s'étendent beaucoup dans ces triplets redondants.
La figure ci-contre est une visualisation 2-D des gamuts de plusieurs profils d'écran, comparés à l'espace sRGB. On y voit bien que l'écran Apple 23" a un gamut très voisin du gamut sRGB et que les trois portables (repérés par de simples chiffres) ont des gamuts nettement plus petits, mais il ne faut pas chercher une interprétation quantitative précise de ce genre de figure.
Les nombres dans la figure sont les «nombres de couleurs» qui seraient affichables dans sRGB ou sur les différents écrans. Ça fait plus savant, mais il ne faut pas non plus se faire trop d'illusions. En fait, il s'agit du volume des gamuts dans une représentation Lab tri-dimensionnelle. Trois mots d'explication :
Malheureusement, cette dernière hypothèse est très discutable et il est certainement abusif de qualifier ces volumes en Lab de «nombres de couleurs». Mais l'expression est plaisante et il est plus commode de qualifier l'étendue du gamut par un nombre unique que par une figure 2D ou 3D. Simplement, il ne faut pas être dupe.
Dans la pratique, un autre handicap de ces nombres est qu'ils ne sont pas très faciles à calculer; je ne connais que ColorThink de Chromix qui le fasse, mais il s'agit d'un logiciel très spécialisé et assez coûteux. Par contre, de nombreux logiciels gratuits permettent de tracer les diagrammes 2-D (même parfois 3-D) et donc de faire des comparaisons qualitatives entre différents gamuts — par exemple, l'utilitaire ColorSync dans le système MacOS-X.
Quelques détails sur les trois portables qui m'ont servi à
illustrer cet article :
— Le portable «correct» crédité de 581000
couleurs est un vieux (!) Toshiba Satellite acheté en début 2004
— Le portable moyen crédité de 457000 couleurs est un
petit Apple iBook G4 12" de 2006
— Le portable «médiocre» crédité de
387000 couleurs est un autre Toshiba Satellite, mais un premier prix
acheté en fin 2006
Quelques chiffres pour d'autres bons écrans de bureau : 880000 couleurs pour un Samsung 970 bien coté vers 2007, 850000 pour un 19" anonyme distribué par Macway pour 110 € en mi-2009, 858000 pour un iMac 20" de 2009 (entrée de gamme) et 891000 pour un iMac 24" beaucoup plus plus cossu... Tout ça reste près du sRGB
Pour les portables, j'ai relevé 432 000 pour un MacBook15" récent (moyen, donc) et 600000 pour un MacBookPro17"LED de 2009, soit un haut de gamme chez Apple — pas beaucoup plus perfomant que mon vieux Toshiba Satellite d'il y a 5 ans... Bref, je ne sais pas s'il existe un portable avec un gamut comparable à ceux des écrans de table.
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