Chacun sait qu'on définit les couleurs par trois composantes RVB, mais on ne peut pas prétendre qu'on obtient ainsi une compréhension très intuitive de ces couleurs. On préférerait de beaucoup une représentation naturelle basée sur les 3 notions suivantes :
Il faut bien comprendre que si ces notions sont très intuitives, les
lignes ci-dessus sont très loin d'en fournir une description
suffisamment précise pour en faire des quantités
chiffrables avec lesquelles on pourrait définir les couleurs
sans ambiguîté. Pour en arriver là, il y a eu un long
effort historique à la charnière des 19ème et
20ème siècle ; nous y reviendrons un peu plus loin. Auparavant,
avant de nous heurter à ces difficultés, on peut se demander
s'il est possible d'en rester à ces composantes RVB si pratiques et d'en
tirer des combinaisons simples qui se comporteraient plus ou moins comme les teintes,
saturations et luminosités esquissées ci-dessus. C'est tout l'objet
des modèles TSL et nous allons voir qu'il y en a deux
à l'œuvre dans Photoshop. Soulignons qu'il s'agit de simples
déguisements des modèles RVB.
C'est le modèle le plus visible dans Photoshop, celui qu'on voit en
action dans le sélecteur de couleur ou dans la palette des
informations (le menu local de cette palette
permet d'adjoindre des composantes TSL aux RVB
du point survolé)
Le sélecteur de couleurs permet d'explorer la relation entre les RVB et les
TSL
On voit aisément que
Une petite expérience :
Ouvrez un nouveau document et remplissez-le d'un dégradé
«Spectre». La palette des infos affiche S=100% et L=100% pour
toutes les couleurs. Maintenant, si vous ouvrez un réglage
teinte/saturation, vous avez deux curseurs qui proposent d'augmenter encore
la saturation et la luminosité. Il ne se passe rien avec le premier,
mais le second fait quelque chose : toute l'image blanchit (et la palette des
infos confirme que la saturation a baissé). Cependant, on ne peut
pas récupérer celle-ci en poussant le curseur des saturations, celui-ci
n'a pas l'air de fonctionner. Que se passe-t-il ?
Il se passe que ce réglage fonctionne avec un autre modèle
TSL, où la saturation et la luminosité sont définies par
S'=100*(Max-Min)/255
L'=50*(Max+Min)/255
Pour comprendre comment fonctionne ce réglage, il faut inverser ces deux
relations
Max=(255/2)*(L'/50 + S'/100)
Min=(255/2)*(L'/50 - S'/100)
On peut aussi lire ces deux formules comme les modifications de Max
et Min requises par le déplacement des deux curseurs. Par
exemple, si on met ces deux curseurs à +80 en saturation et +25 en
luminosité, cela donne delta(L'/50)=0,5 et
delta(S'/100)=0,8, d'où delta(Max) = 166 et
delta(Min) = -38. Si Min tombe en dessous de 0, on le laisse
à 0 ; de même, si Max monte au-dessus de 255, on le
laisse à 255 ; ce sont ces écrêtages qui font que le
réglage semble ne pas avoir d'effet sur certaines couleurs. Il faut
également que Max reste supérieur à Min (sinon on aboutirait
au résultat absurde S'<0) ; on arrive à cette situation quand
on demande une diminution de la saturation supérieure à la saturation
S0'
initiale. Dans ce cas, on tronque la variation demandée de S'
à -S0'.
C'est aussi ce modèle qui est en action dans le menu Image > Réglages > Désaturation : on a le même résultat qu'avec le réglage précédent quand on pousse le curseur saturation à -100 : S' est partout mis à 0 (il ne peut pas devenir négatif), c.à.d. Min et Max se rejoignent, et comme L' ne doit pas bouger dans cette opération, ils prennent tous deux la moyenne de leurs valeurs initiales.
Incidemment, dans le cas de l'image précédente où on
a partout Min=0 et Max=255, le résultat de cette
désaturation est un gris uniforme R=V=B=128 qui efface
complètement la structure de l'image ; ce résultat est
à la base de la mauvaise réputation attachée à
cette façon de passer en noir et blanc.
Le deuxième modèle est un peu plus satisfaisant que le premier sur deux points :
Ce deuxième modèle paraît également plus
satisfaisant dans l'expérience suivante :
En dessous de la charte du haut pleinement saturée (un dégradé «spectre»), les trois chartes désaturées ont été obtenues en parcourant les mêmes teintes, mais avec trois autres choix de Max et Min, chaque fois avec Max-Min=64, d'où la même valeur S'=25% pour ces trois gammes. Comme aucune ne donne l'impression d'avoir des couleurs plus vives qu'une autre, cette valeur unique de S' est acceptable. A l'opposé, les trois valeurs très différentes de S, surtout celle du bas à 100%, ne sont pas acceptables.
On peut alors s'interroger pourquoi les chiffrages explicites de S et L dans Photoshop se font avec le premier modèle , le moins satisfaisant des deux. Formules un peu plus simples (surtout pour L) ? Tradition historique ? On peut également trouver ennuyeuse la coexistence inavouée de ces deux modèles différents. Cela n'a toutefois aucune incidence pratique sur le traitement des images puisque ces modèles n'interviennent que de manière anecdotique dans le fonctionnement intime de Photoshop.
Cependant, aucune de ces deux modèles n'est satisfaisant dans deux autres observations courantes :
Autrement dit, la luminosité et la saturation ne dépendraient
pas que des composantes Max et Min, mais aussi de la
teinte ;
on sent que ça va devenir compliqué.
Cest maintenant une vieille histoire ;
pendant que Munsell approfondissait ces notions dans les années 1900
de manière empirique,
il y avait de nombreuses études expérimentales de cette dépendance
pour la luminosité [cf
Bruce Mc Evoy] et le tout a finalement convergé vers le
fameux modèle LAB (en 1976) sur lequel Photoshop a été construit. Il n'est pas
question de rentrer ici dans les détails
(on trouvera ailleurs
l'essentiel de l'histoire) ; je donnerai simplement la
figure suivante pour faire sentir combien les formulations précédentes pour S
et L sont insuffisantes.
Il s'agit des couleurs les plus saturées possibles qu'on puisse
créer dans un système physique particulier, en l'occcurrence
en superposant les faisceaux de trois projecteurs, rouge, vert et bleu dont
on peut faire varier les intensités ; les différentes teintes
sont en abscisse et les luminosités en ordonnée, plus
précisément la luminosité perçue pour les
différentes teintes au sens des études expérimentales
évoquées ci-dessus — on parle de luminance dans ce cas
pour bien préciser les choses. Ce diagramme montre clairement que les
bleus les plus éclatants s'obtiennent pour une luminosité
bien plus basse que celle des verts ou des jaunes les plus vifs.
Pour terminer cet article, nous voudrions rectifier une confusion souvent commise. La
longue liste des modes de fusion des calques (qu'on retrouve aussi dans les
modes d'action des outils) se termine par les modes teinte, saturation,
couleur, luminosité qu'on regroupe souvent dans la
dénomination de «modes TSL». On affirme
généralement que l'effet dans l'image d'un calque mis dans ce
mode revient à
prendre une ou deux des composantes TSL dans ce calque et
à prendre les autres dans l'image juste en dessous, comme indiqué
dans le tableau suivant
teinte | saturation | couleur | luminosité | |
---|---|---|---|---|
T | calque | dessous | calque | dessous |
S | dessous | calque | calque | dessous |
L | dessous | dessous | dessous | calque |
Pour voir cela, plaçons un calque rempli d'un
dégradé «spectre»
au-dessus d'un calque rempli de gris et mettons le calque du haut en mode
luminosité. On obtient le résultat ci-après :
En principe, l'affichage global reprend les T et S du dessous, c.à.d.
de l'arrière-plan : la saturation globale doit donc être
celle du gris, nulle, et c'est bien ce qui se passe puisqu'on obtient du noir et blanc.
Par contre le «L» global doit être celui du calque
arc-en-ciel ; si on utilisait les modèles TSL explicités
plus haut, on aurait une valeur uniforme, soit L=100%, soit L=50%. On voit
qu'il n'en est rien mais qu'on a une variété de gris allant d'un
gris sombre pour le bleu à un gris très clair pour le jaune,
exactement comme pour la luminance que nous venons d'évoquer.
Les composantes T,S,L prises en compte dans ces modes de fusion «TSL» devraient plutôt être interprétées comme les composantes correspondantes dans le modèle LAB et non pas comme celles des modèles TSL élémentaires.
Maintenant, pourquoi de telles précautions oratoires ? Parce
qu'il aurait été trop beau que ça se passe vraiment
comme ça. Ce qu'on aurait ainsi dû obtenir est la luminance
(au sens LAB) du calque arc-en-ciel, c'est-à-dire ce qu'on obtient
en passant en niveaux de gris. Ce qu'on voit est un peu plus sombre et
plus contrasté :
Bref, on ne sait toujours pas exactement ce qui se passe dans Photoshop...
Mon idée est qu'on a remplacé les formules exactes du
modèle LAB par des approximations plus rapides à calculer,
mais ce n'est qu'une hypothèse.
Peut-être cela contribue-t-il à maintenir un peu de poésie dans l'art de la
retouche des images ?
:-)